4 expertes se challengent autour de l’événementiel responsable
Quel est l’impact carbone de la com’ ? Comment le minimiser ? Quel rôle de conseil des prestataires pour faire évoluer les pratiques dans le bon sens ? Les petites structures que sont les agences et freelances ont parfois du mal à “attraper” ce sujet si complexe… sauf lorsqu’elles mettent leurs énergies en commun !
Elles dirigent une agence ou œuvre en freelance, et organisent pour leurs clients salons, team buildings, conventions… Concurrentes parfois, consoeurs avant tout, elles ont décidé d’avancer ensemble sur la voie d’un événementiel plus durable et responsable : elles nous expliquent leur démarche.
Directrice d’Aprilys Events & Business Travels qu’elle a fondé il y a 23 ans, et qui compte 8 personnes
Directrice de By ADC, agence de tourisme d’affaire et d’événementiel depuis 7 ans
Directrice générale d’ICE Events, une agence d’événememtiel et tourisme d’affaires de 6 personnes
Indépendante et créatrice de Babblecom, avec plus de 15 ans d’expérience dans les projets événementiels internationaux.
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous réunir pour mettre en commun vos réflexions sur la dimension “responsable” de vos prestations ?
Jennifer Savina : Il y a environ 1 an et demi, avec Place de la Communication nous avons organisé une Place des Agences (nos événements trimestriels consacrés aux problématiques des prestataires, agences ou freelance) autour du bilan carbone. Ça a fait émerger plein de questions sur nos leviers d’action pour être plus “durables” dans ce qu’on propose : comment on mesure ça ? Comment on s’améliore ? Pour dépasser le simple constat, et y voir un peu plus clair sur la bonne façon d’avancer, j’ai contacté quelques confrères dans la région, toutes spécialistes de l’événementiel, et Alexandra, Alice, Sandrine et Élodie Schmidt de l’agence FXM Events se sont montrées intéressées : depuis on se réunit toutes les 4 à 6 semaines, on partage nos questionnements, nos trouvailles, nos avancées… et il y en a eu pas mal !
Vous devez être régulièrement en concurrence sur les mêmes dossiers : vous n’avez pas eu d’arrières-pensées à collaborer ?
Sandrine Cochez : Oui, on est concurrentes, mais je crois qu’il faut être intelligentes : le sujet est important et urgent, et il est complexe. Réflechir ensemble, s’apporter les unes les autres, pour pouvoir tenir le même discours pour éduquer les clients, en fait ça ne peut que nous servir.
Jennifer Savina : On a des structures de taille différente, chacune nos manières de faire… Et au final on a adopté des stratégies bien différentes : Alexandra et moi avons suivi une formation ensemble, remis à plat notre ADN de société et rédigé une charte d’engagement. Alice et Sandrine, qui sont à la tête d’agences plus importantes, sont parties dans une démarche de labellisation ISO 20121.
Alice Dupaigne : … accompagnées toutes les deux par le même cabinet de conseil d’ailleurs !
Alexandra de Chateaufort : Clairement, toute seule je n’aurai pas eu le courage de me lancer dans cette démarche, alors qu’ensemble c’était tout de suite plus constructif, et plus motivant !
Être plus durables dans ce qu'on propose : comment on mesure ça ?
Comment on s'améliore ? C'est à ça qu'on essaie de répondre ensemble.
Quête de sens et équipes en demande
Pour chacune d’entre vous, quel a été le moteur de cette démarche ?
Alice Dupaigne : Depuis 2019-2020, cette question de l’impact carbone de notre filière nous travaille à l’agence. À l’occasion d’une fresque du climat, on a senti aussi que c’était toute l’équipe qui avait des interrogations : chez ICE Events, nous sommes positionnés sur l’événementiel et le tourisme d’affaire : qui dit voyage, dit aérien, donc ça commençait à nous empêcher de dormir…
Sandrine Cochez : Pour nous, ça a été la période Covid. On ne pouvait plus se déplacer, plus se rendre à l’étranger… À ce moment-là nous avons lancé une offre qu’on a appelée “Made in à côté” : du tourisme local, à la découverte du patrimoine et des acteurs économiques de proximité, et on s’est aperçues que les clients étaient friands de ce genre d’approche.. De là est venu l’envie de déployer le concept au niveau national, voire international. Avant le Covid, on réalisait 70% de notre chiffre d’affaires avec des opérations à l’étranger, aujourd’hui c’est 30%.
Et puis on participe de plus en plus à des appels d’offres, et dès que le projet est important il y a désormais un volet RSE, qui peut représenter jusqu’à 20% de la note : autant dire que ça devient difficile de faire l’impasse…
Jennifer Savina : Je rejoins Sandrine, on voit bien dans l’édition 2024 de L’Observatoire de la Communication et du Marketing en Hauts-de-France que les questions relatives au développement durable sont de plus en plus souvent présentes dans les cahiers des charges.
Sandrine Cochez : Je m’attendais quand même à des évolutions plus significatives par rapport à l’enquête de 2022. Je trouve que c’est encore bien frileux !
On est dans un entre-deux : les critères RSE comptent dans l'appel d'offres...
mais les clients choisissent encore parfois du "moins durable"
Événementiel durable : le chemin est encore long
Est-ce à dire que l’impact carbone, le développement durable ne sont pas encore des incontournables dans la communication événementielle ?
Alexandra de Chateaufort : Non. Je suis optimiste, et je me dis que les choses avancent dans le bon sens, mais ça va prendre du temps, et on n’y est pas encore. Il y a des disparités assez profondes entre les clients très engagés, pour qui l’avion n’est plus envisageable et les repas sont sans viande, par exemple, et ceux qui n’en ont encore rien à faire. En règle générale, et c’est assez logique, on maîtrise mieux ces sujets de “RSE+événementiel” ou “RSE+voyage d’affaires” que nos clients : à nous de les éduquer pour qu’ils fassent les bons choix en connaissance de cause.
Alice Dupaigne : Je trouve aussi qu’on est encore dans un entre-deux. On a l’impression que le service RSE impose ces critères pour qu’ils figurent dans l’appel d’offres, mais qu’il y a un un vrai décalage ensuite entre ce brief et les attentes réelles. J’ai beaucoup d’exemples d’appels d’offres qu’on a perdu alors qu’on préconisait des projets plus responsables, avec destinations internationales accessibles en train… pour qu’au final ce soit la proposition type “vol jusqu’à Marrakech pour une excursion à dos de chameau” qui l’emporte. C’est frustrant pour nos équipes… et pour nous en tant que dirigeants : on met beaucoup d’énergie pour pousser les équipes à imaginer des événements plus durables, à travailler plus pour se former, changer les habitudes… au final parfois pour rien.
Sandrine Cochez : Mon équipe a parfois du mal à y croire, elles me demandent souvent si toute cette énergie dépensée à éduquer les clients sert à quelque chose. Je comprends les clients qui nous sollicitent souvent pour ce qui sera l’événement de l’année : ils veulent que ça “envoie du fun”, les contraintes inhérentes à un événement plus sobre peuvent les refroidir, et ils choisissent comme le disait Alice encore très souvent la solution… “à l’ancienne”.
Jennifer Savina : La difficulté, c’est aussi que ça remet en cause notre modèle économique. C’est un peu caricatural, mais le gros séminaire de 200 personnes à Rome avec avion, hôtel, etc., ce n’est pas le même niveau d’honoraires et de marge que le projet plus sobre dans tous les sens du terme à Saint-Omer… Ce n’est pas anodin de s’engager dans ce genre de démarche, il faut y croire fort !
Notre pari à toutes, c’est que le jour où les directions RSE iront vraiment demander des comptes aux acheteurs de l’événementiel, on aura incarné le sujet, on aura formé nos clients, expliqué les leviers… et on aura un temps d’avance pour les accompagner !