“Les agences sont en recherche perpétuelle d’opportunités nouvelles, au détriment parfois de la fidélisation”

Ce n’est pas parce qu’on est une “petite” structure qu’on doit se limiter à une clientèle locale. Ni se résigner à subir les innovations. Pour Sébastien Devos, dirigeant de l’agence vidéo Iminance, c’est même tout l’inverse !

Une agence amiénoise, qui rayonne au-delà des Hauts-de-France

Pouvez-vous nous présenter l’agence Iminance ?

Sébastien Devos : L’agence existe depuis 15 ans et emploie 6 personnes. Iminance, c’est une agence “spécialisée polyvalente” : nous faisons de la vidéo, rien que de la vidéo… mais tous types de vidéos (reportage, interviews, motion design…). Ce côté “multi-format” est une force, car il nous permet d’accompagner nos clients dans tous leurs projets vidéo, et d’acquérir une connaissance profonde de leurs métiers et problématiques. Nous serions à Paris ou Lille, nous pourrions (devrions, peut-être ?) nous spécialiser davantage, mais ici à Amiens, ce n’est pas impératif.

Est-ce un atout de ne pas être implanté dans une “capitale” ?

Sébastien Devos : Oui, je pense, en tous cas ce n’est pas un inconvénient ! Amiens a souffert, comme d’autres villes, de la désindustrialisation il y a plusieurs décennies, mais il y a un beau tissu économique ici dans la logistique, la construction, les énergies renouvelables, la santé… Et même si notre principal vivier de clients est ici, on travaille aussi à Paris, Lyon, Lille, Bordeaux et même dernièrement Carcassonne et Epinal… En fait, la question de l’ancrage territorial ne se pose pas, tant qu’on a les références et la connaissance du métier !

L'ancrage territorial n'est pas un handicap, tant qu'on a les références et la connaissance du métier

Justement : l’Observatoire de la Communication et du Marketing en Hauts-de-France mesure notamment la façon dont vos clients choisissent leurs agences. Qu’est-ce que vous en retenez ?

Sébastien Devos : Ce qui m’a interpellé, c’est le fait que la créativité soit affichée clairement comme le critère de choix numéro 1 d’une agence. J’ai plutôt le sentiment que la créativité de la proposition, c’est ce qui va sceller le choix de l’annonceur effectivement, mais que nous sommes avant tout choisis sur la qualité des références présentées.

Là où l’enquête rejoint en revanche tout à fait ce que j’observe, c’est sur la baisse continue du critère “prix” : il est toujours important, attention ! Mais plus prépondérant. Et nous concernant, nous avons de moins en moins de clients qui sont dans une démarche “Kleenex”, à nous utiliser au coup par coup de façon ponctuelle.

Vous avez d’ailleurs lancé récemment une offre de service appelée “Iminance Partenaire”, qui semble aller dans ce sens, pouvez-vous nous en dire plus ?

Sébastien Devos : Iminance Partenaire, c’est l’accès à nos services sur un mode d’abonnement. Aujourd’hui on consomme tout sur abonnement : la téléphonie, le streaming… pour pas la réalisation de ses vidéos ? Evidemment c’est bordé juridiquement, contractualisé… mais l’idée c’est, pour nous comme pour le client, de passer davantage de temps sur les réunions d’impact, le conseil, l’apport d’idées, l’exécution… et moins dans la négociation, la réalisation de devis, l’administratif. C’est aussi une façon de contrecarrer une autre tendance qu’on observe dans l’Observatoire : des délais de plus en plus courts pour rendre nos travaux… mais des phases de décision et de validation de plus en plus longues.

Aujourd'hui on consomme son téléphone, ses films et séries... par abonnement. Pourquoi pas aussi la réalisation de ses vidéos ?

Pourquoi cette offre maintenant ? 

Sébastien Devos : Nous sommes partis de deux constats principalement. D’abord, nous, agences, avons l’habitude de travailler forfaitairement, en restant sur la proposition initiale sans forcément chiffrer les adaptations, les retours… Donc dès qu’on discute d’un surcoût, même s’il est légitime, ça crée de la tension.

Ensuite, parce qu’on n’a jamais la certitude de fidéliser nos clients, on vit dans la recherche permanente de nouvelles opportunités, et quelque part on prend le risque de ne pas être disponible pour un client lorsqu’il a besoin de nous. Avec Iminance Partenaire, nous avons voulu se concentrer davantage sur nos clients existants, nous “calibrer” sur leurs besoins actuels et leurs urgences futures. 

Et comme on est sur un engagement annuel : tout le monde gagne en confort. Confort financier pour nous car nous avons de la visibilité sur un an, mais aussi la possibilité d’exprimer un désaccord, au service de la finalité du client  sans “jouer notre peau”. Confort pour eux, car ils ont sous la main un partenaire qui peut prendre le temps de se nourrir de leur contexte et d’être force de proposition pas seulement en phase de consultation.

On a voulu se concentrer davantage sur nos clients existants, leurs besoins actuels et leurs urgences futures

L’IA : pas seulement un gisement d’économies…

L’intelligence artificielle, c’est déjà une technologie que vous avez prise en main ?

Sébastien Devos : on l’utilise déjà au quotidien, après avoir beaucoup expérimenté et itéré depuis 1 an, 1 an et demi. Avec des cas d’usages déjà “classiques” (génération d’image, recherches, création d’éléments de langage…), et d’autres plus propres à notre métier, comme la création de voix off. Auparavant, on “posait” nos propres voix en phase préparatoire, puis on sollicitait des comédiens pour la version finale. Désormais l’IA permet de générer des voix off finales, certes un peu moins naturelles et précises que celle d’un professionnel, mais c’est clairement un métier qui est, hélas, impacté aujourd’hui. L’Observatoire montre bien que les communicants voient l’IA comme une opportunité autant qu’une menace : on est en plein dedans…

Quel intérêt y voyez-vous pour votre activité ?

Sébastien Devos : Si je reviens à l’exemple des voix off, c’est le projet (et le client) qui vont déterminer si on fait appel à un comédien (parce que la voix a une importance capitale dans la vidéo) ou une IA s’il est plus intéressant d’allouer du budget sur d’autres postes. Donc l’IA, ce n’est pas seulement pour faire des économies : rester dans la course, être en veille permanente, explorer de nouveaux leviers de créativité… 

Le risque avec l'IA, c'est de tomber dans la facilité, alors qu'elle doit nous permettre de remettre l'accent sur la créativité

Et quelles limites ?

Sébastien Devos : Plutôt que des limites, j’ai des  interrogations, morales ou sociétales : quelle place voulons-nous donner à l’humain ? Le risque avec l’IA, c’est de tomber dans la facilité, alors qu’il s’agit de garder la main sur la dimension créative de nos métiers. Et puis je trouve qu’il y a encore un angle mort : l’IA potentiellement pollue beaucoup, et l’édition 2024 de l’Observatoire nous montre que les enjeux environnementaux ne sont toujours pas une priorité absolue dans notre secteur. J’ai l’impression qu’aujourd’hui la  la RSE est devenu un vrai sujet pour les dirigeants, mais une préoccupation encore un peu superficielle pour les communicants. Nous-mêmes, à l’agence, on a mis en place des actions (mutualiser les tournages, passer notre flotte de véhicule en électrique ou hybride, réduire le temps de stockage de nos fichiers sources…), mais clairement : hors prestations pour nos clients, notre priorité a vraiment été de se former et de s’acculturer aux outils d’intelligence artificielle, et notre stratégie RSE est passée un peu au second plan…

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